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                           Quand elle fut partie...

	C'était un beau matin d'automne dans le quartier de Saint Martin. Comme tous les jours, ses rues et ses commerces étaient noirs de monde. D'un côté les femmes bourgeoises, de l'autre les hommes ouvriers... C'était l'un des rares quartiers de Brest où ces deux classes vivaient ensemble.

	Au bout de la rue principale, on apercevait le port de Brest. Une agitation permanente, de la fumée, du bruit...Tous les ouvriers de St Martin travaillaient dans ce '' Chantier de l'Iroise '' sauf un, Alain. Alain le Breton, dit Lain-Lain. Pour cet ouvrier, la vie était devenue tragique.

	Sa jeunesse aussi avait été un terrible cauchemar. Né d'une famille d'agriculteurs, il n'y trouvait pas sa place. Son père souvent saoûl, le battait sans aucune raison. Sa mère, quant à elle, se moquait bien de sa présence. Il n'avait pas de vie sociale, il était condamné à rester dans sa chambre en attendant le temps qui passe...Mais à l'âge de seize ans il découvrit une passion pour la mécanique et l'utilisation d'outils. Quand il reçut son diplôme de machineur et de forgeron, il quitta la ferme de ses parents sans un mot, en oubliant son horrible enfance. Il s'installa à Brest chez un ami pendant cinq ans, à Saint Martin. Il fut engagé très rapidement au '' Chantier de l'Iroise ''. Il rencontra dans le grand marché ambulant  Clautilde qui devint son épouse peu de temps après leur aménagement dans une petite maison qui était pour eux un petit coin de paradis. C'était un couple plein de vie, Alain et Clautilde avaient choisi ce quartier pour son ambiance chaleureuse et son marché ambulant très accueillant. Tandis que les enfants couraient et criaient, les femmes discutaient avec les différents commerçants de leur petite vie tranquille et joyeuse. Les hommes en revanche, étaient assis aux bars ou bricolaient dans leurs maisons. C'était là, la belle vie de ce jeune couple...

	Mais un soir, alors qu'Alain rentrait du chantier, il trouva sa femme allongée dans le salon. Elle avait été poignardée dans le ventre alors qu'elle faisait son ménage. On ne sut jamais quelle personne avait mit fin aux jours de Clautilde. Et depuis ce jour-là il avait perdu toute sa joie. Il paraissait maintenant sombre, renfermé, grognon, solitaire...Il avait même plongé dans l'alcool et en avait perdu son travail.

	Comme tous les matins, Lain-Lain attendit à cinq heure et demi le facteur pour pouvoir ouvrir son journal et lire la rubrique emploi en se balançant sur son fauteuil accompagné de son café agrémenté d'une dose d'alcool fort. Il était très déterminé à retrouver du travail pour pouvoir redonner vie à sa maison qui s'était bien dégradée. On aurait dit une grosse cabane. La cuisine était pleine de graisse, une pile d'assiettes et de verres attendaient dans l'évier pour être lavée. Dans le salon, une vieille table vermoulue lui servait de table de chevet. On pouvait remarquer qu'il dormait dans le canapé...Une étroite porte menait à son immense garage où se trouvait une quantité infinie d'outils et de machines à confectionner, et dans un petit meuble métallique se trouvait une tonne de bouteilles d'alcool. Après avoir lu son journal, il sortit, comme d'habitude, de chez lui vers treize heures pour descendre vers le Chantier de l'Iroise. Il aimait faire cette petite balade car cela lui rappelait le bon temps mais il éprouvait aussi une sensation de colère...Alain était un homme robuste, trapu mais solide. Il avait des mollets de la taille d'un ballon de rugby. Un torse bombé, un ventre bien droit. Il devait approcher les soixante-dix kg pour seulement un mètre soixante. A première vue, il ressemblait à un pitbull. Il était vêtu d'une salopette en jean bleu foncé, avec une dizaine de poches remplies de clous et de vis. Il portait aussi un marcel blanc bien trop petit pour lui. Il marchait d'un pas décidé mais irrégulier avec ses gros souliers en cuir noir un peu vieilli. Il traversa les rues de Saint-Martin où ses anciens collègues accoudés au comptoir d'un bar le regardaient passer sans un mot ou un signe de réconfort. Seuls quelques ouvriers venaient le voir parfois pour faire une partie de cartes. C'est vrai qu'Alain était devenu grognon et râleur, il n'incitait pas à la conversation. Ceci expliquait sûrement aussi qu'aucune femme ne voulait de lui, à son plus grand regret. Il avançait tête baissée. Ses cheveux blonds vaguement roussis flottaient au vent. Il avait un grand front très blanc, des yeux bleus, avec des cernes bien prononcés, un gros nez rouge, dû a l'alcoolisme. Sa bouche était large avec de toutes petites lèvres qui recouvraient à moitié ses grandes dents blanches un peu écartées. Son visage était étiré, fatigué et recouvert de taches  de rousseurs.

	Pendant sa balade, il se faufila entre les commerçants et les bourgeoises. Les rues de Saint Martin alignaient de grandes maisons en briques grises. Cela ressemblait à une grande tranchée tellement les maisons étaient rapprochées entre elles. On apercevait aussi les nombreuses halles avec leurs banderoles lumineuses. La place semblait pleine de joie et de convivialité. Mais sans un mot, Alain avançait tête baissée toujours aussi pensif. Il se posait souvent les mêmes questions à propos de sa femme et de son travail. L'amour et ses machines, ses seules motivations qui avaient disparu du jour au lendemain lui manquaient terriblement. Il croisa comme d'habitude des pauvres gens demandant quelques sous pour se nourrir à la population de St-Martin, principalement riche. Des enfants courraient autour de lui en criant '' Lain-Lain, Lain-Lain ! '' mais lui ne réagissait pas, il était si concentré et motivé pour reprendre ses fonctions de machineur qu'il ne faisait plus attention au reste. Il y avait aussi cette vieille dame qui vendait ses petits morceaux de beurre avec sa petite glacière. Alain en avait pitié car il ne supprimait pas l'hypothèse qu'un jour il pourrait être un mendiant.

	Alain arriva ensuite au chantier de l'Iroise. Du bruit et de la fumée se dégageaient des grandes usines. Alain regarda le bâtiment dans lequel il avait travaillé. A l'intérieur, une trentaine d'hommes dépensaient leur énergie à souder, réparer, confectionner. Ils assemblaient des trains, des moteurs de bateaux. Il y en avait même un qui était capable de porter des plaques de tôle de plus de 50kg à lui tout seul. La salle d'assemblage était surnommée la salle rouge tellement les flammes et la chaleur était importante. Le hangar de stockage des machines représentait à lui seul la moitié de l'entreprise...Tous les matins une dizaines de camions arrivaient pour déposer du matériel et repartaient avec des machines assemblées. De jour comme de nuit, les ouvriers se relayaient à tour de rôle pour qu'aucun poste du chantier ne soit sans activité. Tous les ouvriers d'ici aimaient leur métier et vivaient une vie dure mais joyeuse, ils avaient tous un salaire plus que correct, une femme et une belle maison. Mais Alain, lui, ne faisait plus partie de cette entreprise alors que c'était l'un des meilleurs ouvriers de St-Martin. Il en était démoralisé, il serra son poing en laissant couler une larme sur son visage. Il ne savait plus quoi faire. Trouver du travail ici était devenu pour lui impossible en raison de son licenciement pour faute. Alain avait pensé à déménager pour pouvoir peut-être recommencer une nouvelle vie, mais sans argent, une telle organisation était impossible. Il attendait donc le grand jour...qui depuis plus de dix ans maintenant, n'arrivait pas...
















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